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Lettre à Tadeusz Kantor traduit du polonais par Agnieszka Zgieb Paris, le 8 décembre 1990 Cher Monsieur K., Aujourd'hui nous sommes
samedi, un samedi comme un autre. Et voilà qu'on m'annonce votre
décès. Vous êtes parti. Juste comme ça. De
quel droit, je vous le demande ? J'ai pourtant dans le tiroir de mon bureau
une invitation à votre Anniversaire le mois prochain. J'ai commencé
à repasser ma chemise, celle que je porte à tous vos spectacles.
C'est étrange, aujourd'hui il neige à Paris, chose exeptionnelle,
qui jusqu'à l'evanouissement de la mémoire rappelle Cracovie,
là où, il y a vingt ans, je vous ai rencontré (pour
la première fois). Depuis, mon sac à dos se remplit sans
cesse grâce à votre vision, celle qu'on appelle l'ART. Ce
chemin a commencé tout à fait banalement, comme une balade
à Cracovie, dans ce Centre du Monde où quitter la Grande
Place, cet Embrillon de Tout, était rare et exeptionnel. Et pourtant
c'est justement là, à la cave de Krzysztofory, que vous
êtes devenu un immense Artiste, une véritable uvre
d'Art vivante et un Tableau Vivant. Maître, le monde tremble devant
vous ! Depuis, j'ai été témoin un nombre infini de
fois de la plus grande gloire et admiration montrée à votre
égards par les plus grands critiques et les amoureux de l'art.
Vous êtes devenu l'idée même de celui qui porte l'Amour
dans le Royaume de la Mort appelé Mémoire. Quelqu'un a dit,
peu importe si vous êtes vivant ou mort, quoi qu'il arrive vous
appartenez au Passé. Vous voyez ? De votre vivant vous êtes
devenu l'Unique, l'Exceptionnel, l'IRREMPLACABLE. De plus vous l'exigiez.
Comme si tout tenait à un cheveu, à l'endroit où
le Temps n'a plus d'importance, et Hier a porté le poids de Demain.
Votre voyage dans le jardin des édifices aux dates gravées
a ridiculisé la Mort et l'a mise sur un pied d'égalité
avec l'Amour. Ainsi, la vie doit être cette grande Archive, avec
une cartothèque définie à l'avance qui respecte l'ordre
des dates et des rubriques. La vie qui, comme " quelque chose "
de fermé, n'a ni le début ni la fin. La seule chose qui
compte c'est ordonner cette archive, faire des va-et-vients, continuellement,
jusqu'à ce que les éléments qui composent notre vie
s'organisent selon leurs significations ou ressamblances, et non selon
la chronologie. Dans cette archive, la Seule Issue, ou plutôt la
Seule Sortie, vous l'avez murée. L'existence est devenue un véritable
Cimetière des Accessoires où l'artifice et la temporalité
ont la pérenité du granit et la valeur du diamant. D'avance
voués/comdamnés à l'anéantissement les modèles
établis et les espaces vides disposés au hasard sont remplis
par des fântomes humains, ou plutôt, par des fântomes
de figures humaines aux creux et concavités définis. La
seule Action est une Installation du Hasard, qui acquiert la dimension
du Plus Grand Evénement et de l'Accomplissement. Le premier tableau
peint est en même temps le Dernier sur la surface d'une bobine qui
tourne. La vie est une véritable illusion de la création,
et l'exposition des peintures est devenue une répresentation de
la création du Passé. Il faut recommenser à zéro
chaque jour, naître, se rencontrer, se séparer, oublier,
se souvenir et mourir. Toutes ces actions nous recouvrent comme le papier
d'emmballage, couche après couche, jusqu'à ce que l'on devienne
une lettre, un colis, un bagage de notre propre moi. Nous pouvons aussi
nous servir d'une valise ou d'un sac à dos comme élément
qui nous accompagne pour toujours. Pour cela, nous avons besoin à
tout prix d'un parapluie qui doit nous proteger la peau, ou plutôt,
proteger le papier de l'humidité. À ce moment-là
nous sentirons que le Corps est un Emballage, et nos membres des Prothèses.
Ainsi le tableau devient mobile dans l'espace. Un flux sans fin de tableaux,
ceux peints n'importe comment et ceux faits avec soin, ceux que personne
ne remarque et ceux qui contribuent à notre histoire. Un cortège
de tableaux, de salles d'exposition et de musées qui sont des cimetières,
ou plutôt des cimetières qui sont des musées. Une
chaise est indispensable dans ce voyage, pour que la Station devienne
un aire de repos, pour pouvoir reprendre son souffle. Pour reprendre le
souffle il faut donner au mannquin assis sur cette chaise sa bouche, l'opérer
à l'aide d'un pinceau. Ainsi, de Station en Station, depuis La
Poule d'eau, Les Mignons et les Guenons, La Classe morte, Wielopole, Wielopole,
Où sont les neiges d'antan, Qu'ils crevent les artistes, à
travers Je ne reviendrai jamais, jusqu'à C'est mon anniversaire,
cette dernière station à laquelle vous m'avez aussi invité.
Vous êtes mort. Vous n'êtes plus. Vous avez claqué
la porte et l'avez prise avec vous. On ne peut y frapper ni regarder à
travers le trou de la serrure, même pas dans les rêves !!!
Mais je vous previens, je viendrai à Votre Anniversaire, je viendrai
vous regarder souffler les bougies, je viendrai et vous serrai la main,
je regarderai avec adoration dans vos yeux. Je vous en supplie accordez
votre attention à mon moi, dissimulé dans les coulisses,
je vous aime à la folie. Traduction du polonais Agnieszka Zgieb Wersja listu originalna po polsku napisana w dniu smierci Tadeusza Kantora:
Szanowny
Panie K. Dzisiaj
jest sobota, jakakolwiek. Przyszla wiadomosc, ze Pan odszedl. Ot, tak
sobie. Jakim prawem, ja sie pytam? ? Mam przeciez w biurku zaproszenie
na Panskie Urodziny w przyszlym miesiacu. Zaczalem nawet prasowac koszule,
która nosze na wszystkie Panskie spektakle. Dziwne, ale dzis w
Paryzu pada snieg, rzecz wyjatkowa, przypominajaca do utraty pamieci Kraków,
kiedy dwadziescia lat temu mialem zetknac sie z Panem. Od tego momentu
mój plecak wypelnia sie nieustannie, dzieki Panskiej wizji, tej
co nazywamy SZTUKA.
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